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Le 20 mars 2019, Alexis Rousseau, 21 ans, perdait une jambe dans un accident de moto, à Chouzy-sur-Cisse (Loir-et-Cher). Continuer son métier de boulanger-pâtissier s’est alors avéré pour le moins compromis. Allez vider des sacs de farine de 20 kg dans un pétrin, assis dans un fauteuil roulant ; ou enfourner 300 baguettes par jour, avec une prothèse orthopédique fixée à la hanche. Mais voilà : Alexis Rousseau est une « tête de pioche », et son patron, David Herbault, en est une aussi. Ce dernier, propriétaire de la boulangerie-pâtisserie du Dolmen, à La Chapelle-Vendômoise (Loir-et-Cher), s’est mis en tête de réemployer son salarié, actuellement en arrêt maladie, dans un fournil adapté à son handicap.

Un ancien garage transformé en fournil

L’opération serait inconcevable sans les progrès des techniques de ­panification et l’apparition d’équipements qui concentrent plusieurs opérations et réduisent la pénibilité. David Herbault entend ainsi remplacer trois de ses machines – une diviseuse, une façonneuse, une balancelle – en une seule, qui va se charger de couper, ­calibrer et former les pâtons. Il projette également d’acquérir un robot pâtissier voué à réaliser mécaniquement les crèmes et les pâtes à choux, jusque-là faites à la main, ainsi qu’une ­table sur vérins électriques pouvant s’adapter au travail assis. Le tout ira rejoindre un ancien garage transformé en fournil, d’ores et déjà doté d’une rampe d’accès PMR (personnes à mobilité réduite) et d’un nouveau four avec élévateur électrique.

« J’aime trop mon métier pour arrêter de travailler au premier pépin venu, même si celui-ci n’est pas rien. A aucun moment, je me suis dit que je ne reprendrai pas ma vie d’avant », confie Alexis Rousseau. « Dans notre métier, on ne trouve plus personne à embaucher. Quand on a quelqu’un de motivé et de courageux sous la main, on le garde », explique de son côté David Herbault. Pour la première fois depuis qu’il a repris la boulangerie de La Chapelle-Vendômoise, en 2011, il n’a pas trouvé d’apprenti cette année, faute de candidats. Alors en CAP à Blois, Alexis avait fait ses classes ici même, entre 2012 et 2014, avant de s’y faire embaucher en 2018.

Une cagnotte en ligne

L’aménagement du nouveau fournil ne se fera que si David Herbault trouve les fonds nécessaires, soit 180 000 euros. « Un investissement qu’une petite boulangerie de campagne comme la mienne ne peut pas se permettre », dit-il. L’homme a pris sa ­baguette de pèlerin pour sensibiliser les élus des environs afin d’obtenir des aides – sans succès. Il s’est également aventuré dans le maquis de la médecine du travail, des caisses de santé et des fonds d’insertion professionnelle des personnes handicapées dans l’espoir de débloquer des fonds – avec le même résultat pour le moment.

« C’est la première fois qu’ils ont un cas pareil : d’un côté, un gars, gravement accidenté, qui n’entend pas se déclarer inapte au travail ; de l’autre, un patron qui ne demande qu’à le reprendre. On n’entre dans aucune case », est bien obligé de constater le boulanger. Un appel à la solidarité a été lancé. Les parents d’Alexis – boucher et secrétaire de profession – ont ouvert une ­cagnotte en ligne. Un groupe de rock local donnera un concert de soutien fin février au gymnase de la commune. Un humoriste du coin fera de même un mois plus tard, à Lunay, un village du département. « On y arrivera », martèle le jeune homme, à qui manque l’odeur du pain chaud quand il sort du four. Il y a un an, Alexis Rousseau avait créé une recette de baguette tradition à base de levain, appelée la capelloise, que son patron avait cessé de produire après son accident. Son seul souhait : la relancer. « J’aimerais aussi beaucoup reprendre la moto, mais uniquement sur circuit. Sur route, je suis vacciné. »

source : https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/01/27/a-la-chapelle-vendomoise-le-combat-des-boulangers_6027381_4497916.html